- Fédéralisme et centralisme: une étude comparée de l'Allemagne et de la France
 - Du "pagus" gaulois à la "région de programme": mutations des structures territoriales en France
 - Remarque préliminaire
 - Les fondements territoriaux de la centralisation administrative française
 - Le centralisme comme principe fondateur de l'organisation de l'État
 - L'interaction entre le centralisme et l'économie dans l'Histoire de la France
 - Capitale et système urbain: l'armature urbaine
 - L'ambivalence de l'aménagement du territoire
 - Permanence et indépendance des fondements du centralisme
 - L'aménagement français du territoire et l'Union européenne
 - En guise de conclusion: la régionalisation à la française franchit un nouveau pas
 - Bibliographie
 - Problèmes transfrontaliers et coopération
 - Exemples régionaux
 - Paris et Berlin - portraits de capitales
 
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Décentralisation et Régionalisation
Aucun principe d'organisation de l'Etat ou de création politique ne peut  prétendre à l'éternité. Certes, on a toujours observé, au cours de  l'Histoire de France, une tendance plus ou moins forte à la remise en  cause de la centralisation. C'est ainsi qu'à partir de 1982 ont été  promulguées tout un ensemble de textes législatifs en matière de décentralisation [1]   politique et administrative. Cette évolution est due en premier lieu  aux charges de plus en plus excessives (notamment financières) pesant  sur le pouvoir central parisien imposant ses décisions dans les  provinces jusque dans les plus petits détails, à l'aggravation des  déséquilibres démographiques et socio-économiques au sein du territoire  français et à la volonté de favoriser la démocratie locale - cf. "la  France d'en bas" promue au rang de cible privilégiée de son action  politique par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin [2]  en 2002 - tout cela sur fond d'intégration européenne. 
 Les lois de décentralisation présentent trois aspects principaux [3]  (cf. Gruber 1986): 
 1) Jusqu'en 1982, la Région n'était qu'un établissement public  placé sous l'autorité du représentant du pouvoir central, le Préfet,  conçu avant tout pour l'aménagement du territoire. Elle constitue  désormais un troisième échelon de collectivité territoriale de plein  exercice, en plus de la Commune et du Département, mais contrairement à  celles-ci, la Région n'a pas encore, à l'époque, de statut  constitutionnel. 
 2) La suppression de la tutelle, autrement dit du contrôle direct  de l'Etat à travers l'autorité du Préfet. Désormais, tout acte émanant  d'une collectivité territoriale de plein exercice est réputé a priori  conforme à ses compétences, le contrôle juridique ne s'exerçant a  posteriori qu'en cas de doute sur sa légalité. 
 3) Pour la première fois, le Département et la Région disposent d'un organe exécutif élu au suffrage universel direct (Conseil Général et Conseil Régional)  compétents dans des domaines bien définis. La compétence exécutive de  la Commune est élargie. En outre, les collectivités territoriales  reçoivent les moyens financiers correspondants directement disponibles  pour exercer ces nouvelles compétences. 
La répartition des compétences [4]  selon les lois de décentralisation  
| Commune | Département | Région | Etat | |
| Enseignement | création, construction, entretien des écoles primaires | création, construction et entretien des collèges | création, construction et entretien des lycées et établissements d'éducation spécialisés | Programmes et diplômes universitaires, rémunération personnels de l'enseignement supérieur | 
| Transports scolaires | dans périmètre urbain | hors périmètre urbain | ||
| Formation prof. continue et apprentissage | formation continue et apprentissage | choix d'actions de portée générale | ||
| Action sociale et santé | participation aux dépenses du département | aides aux enfants, familles, handicapés, âgés. Tutelle établissements sociaux | prestations solidarité, lutte contre la toxicomanie. Tutelle établ. sanitaires de l'Etat | |
| hygiène publique | contrôle de l'Etat | |||
| Planification, développement économique | développement intercommunal | aide à l'équipement rural | élaboration commune du plan régional | |
| Canaux et ports | ports de plaisance | ports de commerce secondaires, ports de pêche | ports fluviaux et voies navigables | ports d'intérêt national ("ports autonomes") et pouvoirs de police | 
| Urbanisme, environnement, patrimoine | élaboration des schémas directeurs et POS | contrôle de l'Etat | ||
| permis de construire | itinéraires de promenade | parc naturel régional | patrimoine architectural, parcs nationaux | |
Source: Brücher 1997, d'après Verpeaux, M., Les lois de décentralisation depuis 1982. In: Les collectivités locales en France (1996). Les Notices, La Doc. Française, Paris (modifié)
Dans quelle mesure ces lois de décentralisation remettent-t-elles effectivement en cause le principe fondamental de la centralisation française? En premier lieu, on peut s'étonner que les deux protagonistes du pouvoir central - le Chef de l'Etat et le Premier Ministre - aient expressément voulu un tel revirement et que la modification législative se soit opérée rapidement et sans difficultés, d'ailleurs également sans légitimation démocratique notable (Thoenig, 1994, p. 74) telle que le référendum par exemple. On ne peut donc pas ne pas se poser la question de la raison d'être et de la sincérité de cette politique qui montre de nombreuses faiblesses, zones d'ombre et contradictions.
Au regard des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, les  collectivités territoriales françaises ne détiennent qu'une partie du  premier. Le partage des deux autres apparaît anticonstitutionnel par  crainte du fédéralisme. D'autre part, par de nombreuses clauses  dérogatoires, l'Etat se réserve le droit d'intervenir dans les domaines  de compétence nouvellement transférés. Il a également interdit tout  emboîtement hiérarchique des compétences entre les trois niveaux  territoriaux: la Région n'a pas autorité sur le Département, ni celui-ci  sur la Commune. On a préféré placer des secteurs de compétences  différents dans leur ressort respectif, interdisant ainsi toute  coopération verticale entre les collectivités territoriales qui pourrait  donner naissance à un contre-pouvoir "provincial" susceptible de faire  contrepoids au pouvoir central. Par exemple, la compétence en matière de  construction et d'entretien des bâtiments scolaires est partagée entre  la Commune pour l'enseignement primaire, le Département pour les  collèges et la Région pour les lycées. Pourtant, dans la réalité, il  arrive que ces compétences se chevauchent et engendrent des conflits à  tous les niveaux, auquel cas c'est encore l'Etat qui intervient en tant  que coordinateur et arbitre. En outre, il demeure "l'acteur principal  dans le cadre de la politique d'aide au développement et est légalement  seul compétent pour toutes les décisions importantes en matière de  politique économique, de politique sociale et de politique de l'emploi"  (Neumann / Uterwedde, 1997, p. 58). En même temps, l'État pouvait se  décharger sur les collectivités territoriales de toute une série de  tâches encombrantes mais politiquement sans intérêt, comme par exemple  le remembrement agricole, source de conflits... mais à l'exclusion des  secteurs stratégiques tels que l'énergie qu'il n'a d'ailleurs jamais été  prévu de régionaliser. 
 L'un des points les plus manifestes de l'incohérence de la politique française de décentralisation est l'insuffisance des moyens financiers [5]             attribués aux collectivités territoriales. Elle accroît les  difficultés par le recours à un financement mixte compliqué, par  l'interdiction de transférer des dotations prévues pour un secteur (par  exemple la construction de lycées) à un autre secteur, et par des  dispositions spéciales comme par exemple la perception (même modeste)  d'impôts locaux, ou de la taxe sur le permis de conduire qui relèvent de  la seule Région. Comme l'affirme avec raison Müller-Brandeck-Bocquet  (1990, p.75), les finances locales sont "le talon d'Achille" de toute la  décentralisation. 
 Il s'ensuit le principe selon lequel le budget par habitant d'une  collectivité territoriale est d'autant plus petit que la collectivité  est plus grande: par exemple, pour l'année 1998, le budget par habitant  était d'environ 1250 FF pour la Région Alsace [6] ,  mais de 8500 FF pour la commune de Strasbourg (calculé d'après  Kleinschmager, 1999). En fait, peu de compétences sont transférées aux  Régions: les deux tiers de leurs investissements [7]         sont consacrés à l'éducation et aux transports et seulement 10 %  au développement économique (Berthon 1996, p.34). Une telle tutelle  imposée aux Régions en matière financière se manifeste en premier lieu  dans les contrats de plan Etat-Région (C.P.E.R), c'est-à-dire les  programmes d'investissements élaborés d'un commun accord entre chaque  Région et l'Etat: pour la période 1984-1993, ce dernier y a contribué  pour 60 % (Balme / Bonnet, 1995, p. 51). Mais le complément propre à  chacune des régions - 40 % restants d'un maigre budget - doit être  consacré à des projets jugés prioritaires par le Préfet, donc par le  pouvoir central. Ainsi dépendantes de l'Etat par de tels  "encouragements", les Régions le sont aussi par l'intermédiaire des  fonds européens qui impliquent la coopération avec ce même Etat. Enfin, à  travers ces Contrats de Plan, le pouvoir central contrôle la politique  d'aménagement du territoire aussi au niveau régional (Damette /  Scheibling 1995; Madiot 1996). 
 En dépit de toutes ces faiblesses, les Régions ont su acquérir une  conscience d'elles-mêmes et un poids respectable. Les nouvelles  collectivités régionales de plein exercice développent en effet des  activités individuelles et cherchent à créer une identité propre. Or, ce  sont précisément les réformes législatives de 1982/83 qui ont fourni  l'impulsion et la base institutionnelle pour exprimer les intérêts  régionaux au niveau européen (Mazey 1994; cf. Neumann / Uterwedde 1997).  Cependant, l'introduction de la Région au sein des collectivités  territoriales a engendré une concurrence supplémentaire, source de  conflit entre la Région et le Département. En effet, on ne sait toujours  pas officiellement lequel des deux est l'échelon intermédiaire le plus  important entre la Commune et l'Etat; dans la réalité, il semble que le  Département soit le véritable "vainqueur" du fait de sa longue tradition  inscrite dans la Constitution (Douence 1995, p.12; Madiot 1996, p.71).  Tout se passe comme si l'Etat tenait à maintenir l'équilibre entre le  Département et la Région, un peu comme l'avait déjà fait Louis XIV pour  la Noblesse et la Bourgeoisie, de manière à mieux les dominer (Elias  1997, vol. II) selon le fameux principe divide et impera [8]       Pourquoi le pouvoir central aurait-il intérêt à avoir des régions  fortes et conscientes de leur propre identité? Il vise à les maintenir  dans une certaine faiblesse en les plaçant sous l'autorité renforcée du  Préfet de Région. Selon Mabileau, l'Etat a laissé les Régions dans une  certaine marginalité parce qu'il s'en méfie et craint leur opposition  (1996, p. 233; cf. Berthon 1996, p.33). Enfin, il ne faut pas oublier  que la décentralisation - et donc l'existence même de la Région - n'est  que légale et qu'elle n'était pas - avant 2003 - fondée  constitutionnellement. Elle peut donc assez facilement être modifiée,  même s'il n'est pas possible de la remettre en cause. 
Liens:
- [1]http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/decentralisation/index/
 - [2]http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/premier_ministre/histoire-chefs-gouvernement_28/jean-pierre-raffarin_295/
 - [3]http://www.senat.fr/rap/l05-015/l05-0150.html
 - [4]http://www.vie-publique.fr/documents-vp/repartition_competences.shtml
 - [5]http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/publications/budget_primitifs_regions_2002/accueil_budget_primitifs_2002.htm
 - [6]http://www.cr-alsace.fr/
 - [7]http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/publications/budget_primitifs_regions_2002/regions/Alsace.pdf
 - [8]http://www.lateinforum.de/thesauru/WdAntike/D/divideet.htm
 
