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'Les valeurs républicaines se heurtent à l'impératif de libération'
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Les valeurs républicaines se heurtent à l'impératif de libération
Les Lumières en Allemagne étaient donc un amalgame entre la lutte contre  le féodalisme régnant et une tentative de projet politique unificateur,  ces deux aspects s'excluant mutuellement. Les valeurs révolutionnaires  cherchant à établir un ordre nouveau furent importées manu militari par  un occupant venu de l'ouest, Napoléon Bonaparte [1] .  C'est cette situation paradoxale qui fit des guerres prussiennes,  antinapoléoniennes et donc, en quelque sorte, antifrançaises,  l'affirmation d'un esprit national allemand imprégné d'une ambivalence  particulière. L'affermissement des valeurs de la Révolution française,  dans la révolution bourgeoise contre l'ordre ancien, se heurtait à la  réalité de la libération nationale contre un occupant étranger, un  combat qui, dans sa pratique, ne correspondait nullement à l'idéal  révolutionnaire chaleureusement acclamé par l'intelligentsia et les  éléments éclairés de la bourgeoisie allemande. À cela s'ajoutait le  dualisme religieux des principautés allemandes qui, à son tour, livrait  des éléments de légitimité aux dynasties, la rivalité entre la Prusse  (protestante) et des Habsbourg (catholiques) réapparaissant à ce niveau. 
 Au-delà des déchirements provoqués par la recherche du concept de  nation, et des divergences sur la forme institutionnelle que devait  prendre un État national allemand, la question de la définition de la  nation allemande impliquait aussi les deux principales forces  hégémoniques de l'ancien Saint Empire romain germanique: la dynastie des  Habsbourg et la Prusse. Désormais, la définition de la nation allemande  oscillait entre la solution d'une "grande Allemagne", basée sur la  langue et donc incorporant la plus grande partie de l'Empire des Habsbourg [2]   (mais pas ses territoires slaves et hongrois), et la solution d'une  "petite Allemagne" qui excluait l'Empire des Habsbourg au profit d'une  hégémonie prussienne. Ainsi, les critères de définition avaient  immédiatement des conséquences au niveau de la définition territoriale  du futur État national allemand. 
Fig. 5
L'Assemblée des démocrates à l'Eglise Saint-Paul à Francfort le 18 mai 1848
Source internet [3] 
Sans entrer dans les détails de la Révolution bourgeoise [4]  - avortée (2) - de 1848, précisons qu'il y avait aussi, outre la question de savoir qui et quoi constituait l'Allemagne, une incapacité à se débarrasser des vieilles structures féodales et absolutistes. Au lieu de parachever la démolition de l'ordre ancien, l'Assemblée des démocrates de l'église Saint-Paul, le 18 mai 1848 à Francfort-sur-le-Main, fut finalement écrasée sous les bottes du militarisme prussien, ce qui ouvrit la voie à l'unification allemande sur la base du concept de la "petite Allemagne". 
 L'ordre absolutiste persistant et les stratégies territoriales monarchiques devaient donner lieu au fatal projet de mariage entre les Hohenzollern (catholiques) de Sigmaringen (3) et les Bourbons d'Espagne, un projet considéré par Napoléon III [5]  comme une menace territoriale. Inutile de rappeler ici que les protestations françaises furent adroitement manipulées par Bismarck pour pouvoir déclencher la guerre de 1870-1871. Et c'est cette guerre qui devait entraîner la naissance d'un État allemand dominé politiquement par le militarisme prussien, qui développa rapidement des visées de grande puissance en jouant habilement sur les frustrations du nationalisme allemand. D'une certaine manière, le complexe d'infériorité du nationalisme allemand trouve son expression symbolique dans le fait que cet État national (avec l'exclusion de l'Empire des Habsbourg) fut proclamé hors du territoire allemand, au château de Versailles. 
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Notes
(2) Voir la documentation de Wolfgang Hug, "1848/49. Das 'tolle Jahr'. Revolution in Deutschland", Geschichte aus erster Hand, Nr.2/1988.
(3) En fait, les Hohenzollern étaient à l'origine catholiques, et la conquête de la Prusse orientale était la préoccupation des chevaliers allemands lors des croisades. Ce n'est qu'à la suite de la Paix d'Augsbourg que la lignée "prussienne" des Hohenzollern devint protestante.
