- L'Europe une et divisée: regards historiques sur la politique européenne au début de l'ère moderne
- L'Europe des régions du point de vue géographique
- Remarque préliminaire
- La Mitteleuropa : une notion diffuse
- L'idée de la germanisation comme maxime de l'action politique
- La pérennité de la pensée d'une Grande Allemagne
- L'intensification des interdépendances économiques
- La Première Guerre mondiale et l'idée de la Mitteleuropa
- La menace orientale de la Mitteleuropa
- Remarque finale
- A propos de frontières et de délimitations
- Dimensions européennes de la coopération économique
- La France et l'Allemagne dans le système international
- L'élargissement de l'Union européenne vers l'Est
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Friedrich Naumann et l'idée de la Mitteleuropa
Friedrich Naumann [1] fonda en février 1916 une commission de travail pour la Mitteleuropa à laquelle participèrent des représentants renommés de la politique, de l'économie et de la science, parmi eux Matthias Erzberger, Hugo Stinnes, Albert Ballin, Ernst Jäckh [2] , Gustav von Schmoller et Max Weber, qui tenta d'effectuer les travaux préliminaires pour la politique de gouvernement, néanmoins sans recevoir un quelconque soutien de la part du gouvernement ou même encore le moindre encouragement (32). La question de la Mitteleuropa avait fait déjà auparavant l'objet des travaux de "l'Union pour la politique sociale". Déjà le 24 mars 1915, la commission de l'Union pour la politique sociale [3] , l'association des sciences sociales germanophones la plus influente de l'époque, avait décidé de demander de nombreuses expertises sur la question d'un pacte douanier et économique entre l'Empire allemand et la Monarchie danubienne. Le 23 octobre 1915, Heinrich Herkner pouvait les faire imprimer (33) ; en avril 1916, ces expertises, auxquelles les économistes nationaux autrichiens avaient également participées, étaient présentées au grand public en un volume complet (34).
Fig. 17
Friedrich Naumann (1860 – 1919)
Au début de la Première Guerre mondiale, il soutint la politique du gouvernement allemand, mais se distança toutefois de la propagande d'annexion agressive. En 1915, il publia le livre "Das Mitteleuropa", qui fit grande sensation, dans lequel il demandait une réduction des objectifs de guerre et une fédération économique étroite avec l'Europe orientale et du Sud-Est.
Source Internet
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Le 6 avril 1916, l'Union pour la politique sociale fit également de ce thème, à l'époque d'une actualité brûlante, l'objet des discussions de la commission pour la politique sociale (35). De grandes difficultés d'ordre pratique apparurent alors sous toutes leurs formes qui entravaient la réalisation du grand plan d'une union économique des deux empires, sans parler de la Turquie et de la Bulgarie. Les experts se montraient sceptiques, voire même désapprobateurs, particulièrement dans la mesure où cette question était considérée seulement d'un point de vue purement économique. Toutefois, certains, comme Max Weber, jugeaient indispensable, pour des raisons politiques, une union douanière élargie, surtout concernant la question polonaise. Max Weber argumenta ainsi : "Quoi qu'il en soit, l'éventualité qu'une Mitteleuropa avec une politique douanière doit être instaurée par les gouvernements pour des raisons politiques, les intéressés, tout comme nous, ne doivent pas perdre de vue qu'on devra tout d'abord partir de l'hypothèse qu'une situation politique peut se produire qui imposera l'alliance centre-européenne, et c'est là que se trouvent les limites des réserves émises." (36)
La direction politique seule renonça, après que la question polonaise fut tout d'abord réglée provisoirement en novembre 1916 avec la proclamation polonaise, à prendre des mesures énergiques dans la question de la Mitteleuropa. La diplomatie allemande suivit de nouveau progressivement la ligne d'un annexionnisme conventionnel qui aspirait à modifier la carte des pays européens à grande échelle par le biais d'annexions directes ; l'idée de la Mitteleuropa était provisoirement abandonnée. Afin de lier l'Autriche-Hongrie à l'Empire allemand, des moyens directs semblaient alors mieux appropriés ; et en raison de la dépendance de plus en plus grande de l'Etat impérial face au soutien allemand dans les domaines militaire et économique, ceci semblait avoir perdu de son urgence.
A l'inverse de ces développements au niveau de la politique officielle, l'idée de la Mitteleuropa eut, à partir de fin 1915, un retentissement de plus en plus grand parmi l'opinion publique allemande. En même temps, il fut accordé une grande importance aux nombreuses petites publications de Friedrich Naumann sur la question de la Mitteleuropa et principalement à son livre publié en octobre 1915 intitulé "Mitteleuropa". Ce livre de Friedrich Naumann rencontra, tel que Wolfgang Schieder le décrit, "le plus grand succès qu'un livre politique n'ait jamais connu dans l'Empire après celui de Bismarck Gedanken und Erinnerungen" (37). Cette œuvre était remarquable dans la mesure où la question de la Mitteleuropa n'était pas seulement traitée d'un point de vue politico-stratégique, mais dans un contexte beaucoup plus complet qui abordait également, et ce pour la première fois, les problèmes du droit à l'autodétermination des autres peuples concernés, particulièrement des Polonais, mais aussi des Slaves du Sud. C'était bien entendu un livre de propagande qui, en grande partie, ne tenait pas compte des grands problèmes réels à surmonter.
Fig. 18
Ernst Jäckh (1875 – 1959)
Après un voyage dans l'Empire ottoman, Jäckh publia en 1909 son livre intitulé "Der aufsteigende Halbmond. Auf dem Weg zum deutsch-türkischen Bündnis", dans lequel il plaidait en faveur d'une expansion économique et culturelle de l'Allemagne en Europe du Sud-Est. Il continua dans cette voie avec son magazine Das Größere Deutschland qu'il édita à partir de 1914 à Berlin. Le magazine Deutsche Politik, dont il était l'éditeur avec Paul Rohrbach, se fit le porte-voix d'une vaste propagande en faveur de la Mitteleuropa.
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Un grand nombre de publicistes dans l'entourage de Naumann reprirent l'idée d'une nouvelle Mitteleuropa avec enthousiasme, tout particulièrement Ernst Jäckh qui fit du magazine Deutsche Politik, dont il était l'éditeur avec Paul Rohrbach, le porte-voix d'une vaste propagande en faveur de la Mitteleuropa. (38) La création d'une "plus grande Mitteleuropa", c'est-à-dire de l'union de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, de la Bulgarie et de la Turquie, y fut qualifiée comme étant une conséquence obligatoire de la position géopolitique des puissances centrales et de leur évolution historique : "Cette Mitteleuropa - la nouvelle unité du vieil Empire habsbourgeois de la nation allemande et du vieil Empire ottoman de la nation turque" - on voit que les frontières géographiques furent repoussées très loin jusqu'au Proche-Orient -, "jadis séparée par le Danube traversant ces deux empires et parties, puis partagée au nord et au sud en plusieurs petits peuples, maintenant enfin réunie intérieurement en une partie d'un monde dans laquelle les peuples grandissent ensemble comme des organes différents pour finir par former un seul et unique organisme au sein d'un même monde", est une nécessité historique, notamment face à la pression de l'Empire britannique d'une part, et de la Russie tsariste, d'autre part, sur le centre de l'Europe (39).
Dans son tract "Das größere Mitteleuropa", qui fut à l'époque très remarqué, Jäckh montrait clairement que la future Mitteleuropa devait aller bien au-delà de l'alliance entre l'Empire allemand et l'Autriche-Hongrie et, particulièrement, allier la Bulgarie et la Turquie comme base d'un bloc géopolitique complet. Il pensait pouvoir expliquer cette fédération d'Etats centre-européenne comme étant un ordre organique en résultant, pour ainsi dire nécessaire de par sa nature, dans lequel le principe de construction de l'ordre national allemand se répétera au plus haut niveau (40).
Fig. 19
"Dans son tract 'Das größere Mitteleuropa', qui fut à l'époque très remarqué, Jäckh montrait clairement que la future Mitteleuropa devait aller bien au-delà de l'alliance entre l'Empire allemand et l'Autriche-Hongrie et, particulièrement, allier la Bulgarie et la Turquie comme base d'un bloc géopolitique complet".
Source Internet [6]
On peut qualifier tout ceci d'écrits de propagande dus à la situation de guerre, surtout vis-à-vis de l'optimisme de circonstance qui se retrouvait tout au long de ces argumentations. Tout comme on jugera aujourd'hui l'argumentation géopolitique de Rudolf Kjellen en faveur d'une union politique et économique de l'Europe du milieu contre les puissances occidentales d'une part, et le monde slave d'autre part, peu convaincante. Il est caractéristique que les délimitations territoriales des frontières de cette nouvelle "Mitteleuropa" annoncée en fanfare n'étaient nullement claires et sur lesquelles les opinions, d'auteur à auteur, différaient d'une extrême à l'autre. Pour Friedrich Naumann, l'Autriche-Hongrie et la Pologne se trouvaient, par rapport aux Etats Baltes, au premier plan ; pour Paul Rohrbach, la vieille idée d'une union des nations non-slaves des Balkans contre le déferlement slave ressuscitait ; pour Ernst Jäckh en revanche, la Mitteleuropa était en premier lieu le glacis pour la future prééminence d'une fédération d'Etats sous domination allemande au Proche-Orient. Il importe qu'on réfléchisse toutefois sérieusement à la question de savoir si les idéaux nationaux du passé n'avaient pas survécu et si, par conséquent, on ne devrait pas donner le champ libre aux nouveaux principes d'ordre politique.
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Notes
32. Die konstituierende Sitzung des "Arbeitsausschusses Mitteleuropa" fand am 22.2.1916 in Berlin statt. Vgl. Max Weber-Gesamtausgabe 1/16, S. 126.
33. Vgl. Die wirtschaftliche Annäherung zwischen dem Deutschen Reiche und seinen Verbündeten, hg. im Auftrag des Vereins für Socialpolitik von Heinrich Herkner, 1. Teil = Band Schriften des Vereins für Socialpolitik, S. 155, München 1916, V.
34. Siehe die vorhergehende Anmerkung.
35. Die wirtschaftliche Annäherung zwischen dem Deutschen Reiche und seinen Verbündeten, 3. Teil, Aussprache in der Sitzung vom 6. 4. 1916. Vgl. auch Max Weber-Gesamtausgabe Band 1/15, S. 134 ff.
36. Max Weber-Gesamtausgabe 1/15, S. 149.
37. Friedrich Naumann, Werke, hrsg. im Auftrag der Friedrich Naumann Stiftung 1964-69, Bd. 4: Schriften zum Parteiwesen und zum Mitteleuropaproblem, bearb. von Thomas Nipperdey und Wolfgang Scheder, Köln-Opladen 1964, S. 385.
38. Zur Vorgeschichte der Zeitschrift "Das Größere Deutschland", die dann in die Zeitschrift "Deutsche Politik" überführt wurde, siehe Walter Mock, Paul Rohrbach und das "Größere Deutschland". Ethischer Imperialismus im wilhelminischen Zeitalter, München 1972, S. 171 ff. Leider bricht die Darstellung Mogks bereits 1914 ab.
39. Deutsche Politik. Wochenschrift für Deutsche Welt- und Kulturpolitik l, 1916, S. 16. Juni 1916. Zit. bei Opitz, Europastrategien des deutschen Kapitals S. 367.
40. Das Größere Mitteleuropa. Schriften der "Deutschen Politik". Weimar 1916.
Liens:
- [1]http://www.dhm.de/lemo/html/biografien/NaumannFriedrich/
- [2]http://www.museumderdinge.de/werkbund_archiv/protagonisten/ernst_jaeckh.php
- [3]http://www.socialpolitik.org/vfs.php?mode=informationen&lang=1
- [4]http://www.dhm.de/lemo/html/biografien/NaumannFriedrich/
- [5]http://www.museumderdinge.de/werkbund_archiv/protagonisten/ernst_jaeckh.php
- [6]http://www.mramorak.de/geschichte/mrkap-3.htm