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'Marianne (et Michel, aux côtés de l'Oncle Sam) au vent frais des années 40 et du début des années 50'
 
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Marianne (et Michel, aux côtés de l'Oncle Sam) au vent frais des années 40 et du début des années 50

Dans les années d'après-guerre, on ne trouve pas dans le magazine satirique Frischer Wind ("Vent frais") de caricatures dont les protagonistes soient des allégories nationales allemandes et françaises. En cette période marquée par le début de la Guerre froide, le conflit avec les USA constitue le thème prédominant, et l'Oncle Sam est omniprésent. Ce dernier domine en particulier le Michel allemand, chétif et à moitié mort de faim, qui présente alors dans Frischer Wind toutes les caractéristiques qu'on trouve également dans la presse ouest-allemande. (5) Une opposition germano-américaine est mise en scène sur toute la ligne: petit/grand, maigre/gros, anguleux/rond, bas/haut, porteur/charge, bref: le serviteur et le maître, la victime et l'auteur du crime, le soumis et le meneur. 

Marianne, le Michel allemand et l'Oncle Sam: trois allégories nationales revêtant dans les caricatures des attributs très différents.

 

L'autre, c'est l'Amérique. Dans le contexte de la configuration binaire de l'après-guerre et de la Guerre froide, les différences entre les allégories nationales européennes, donc aussi entre Marianne et Michel, ont tendance à s'effacer, ce qui n'est pas le cas pour les caricatures ouest-allemandes. Ces personnages sont souvent infantilisés et représentés comme des nourrissons, des petits enfants ou des élèves. Les relations franco-allemandes sont évoquées essentiellement comme faisant partie des relations entre l'Europe et l'Amérique et sont représentées implicitement comme des relations entre des êtres dépendants, humiliés et opprimés. La luttes des classes des élèves contre le maître détesté est à l'ordre du jour politique. On suggère une solidarité européenne des enfants; les enfants sont appelés à la révolte contre le père américain dominant, voire même au parricide (symbolique). (6)

Les années 50
Nous nous proposons d'examiner 12 des 21 représentations de Marianne dont nous disposons pour la période des années 50, qui constitue le centre de notre étude. Un premier coup d'œil permet de constater que Marianne n'est pas une seule fois représentée en compagnie d'un personnage de la RDA, mais presque toujours de la RFA (et/ou des USA). Aussi surprenant que cela puisse paraître, la notion de "relations franco-allemandes" signifiait donc pour les caricaturistes est-allemands la même chose que pour leurs homologues ouest-allemands, à savoir les relations de la République fédérale avec la France. La RDA n'avait pas de propre positionnement graphique vis-à-vis de la France et se référait presque toujours à la RFA, se définissant ainsi sans le vouloir comme le deuxième État allemand. Mais les caricaturistes du magazine Vent frais ou Eulenspiegel ont réussi à développer au sein de cette constellation de personnages un langage qui se rapproche plus du graphisme français que de celui de la RFA.

1793: Cette affiche présente les principaux attributs de la République: le drapeau français (non définitif), le bonnet phrygien avec cocarde tricolore, le faisceau de licteur de la république romaine, et la devise nationale.

Source Internet [1]

Le bonnet phrygien:
l'attribut de la France républicaine.


Source Internet : www.kulmbach.net/~MGF-Gymnasium/bilderdaten/napoleon/

Les relations France-RDA comme scénario de viol
 
 
 A la différence des caricatures ouest-allemandes, le cliché de la Française coquette, d'une Marianne rusée et souvent calculatrice, ne joue qu'un rôle mineur. Elle n'est jamais représentée ainsi dans un contexte international. Cette image apparaît seulement quelquefois dans des contextes de politique intérieure. Ainsi, une caricature accompagnée du titre évocateur "Freier-Wahlen" [note de la traductrice: jeu de mots allemand intraduisible entre "freie Wahlen = élections libres" et "Freier" = client d'une prostituée) représente une Marianne un peu canaille éconduisant de Gaulle. Plutôt que sur lui, qui est arrivé au rendez-vous avec une fusée au lieu d'un bouquet de fleurs, elle jette son dévolu sur l'homme du peuple, coiffé du béret basque, un œillet à la boutonnière. (7)

 

Fig. 1: "Marianne affiche la couleur"
(Louis Rauwolf)

 

 

 

Eulenspiegel 4/1956

Le stéréotype de la Française élégante et séduisante est certes repris dans le dessin de Louis Rauwolf commentant la victoire électorale du Front Républicain, en 1956 (Fig. 1), mais la coquetterie ne renvoie pas à des partenaires étrangers, tout au contraire. C'est une scène d'essayage classique devant le miroir, métaphore de la vérité qui révèle le vrai visage de la France. "Marianne affiche la couleur" formule la légende avec à propos, et cette couleur est le rouge du bonnet phrygien. Cet attribut de la France républicaine est, comme son regard l'indique, l'unique objet du désir de Marianne. Cet essayage de mode n'est bien sûr que prétexte à mettre en scène une théorie des couleurs politique: le rouge triomphe du gris verdâtre. Ce dessin fait lui aussi référence à la RFA. Un homme - à tous égards - "sans tête" sort furtivement de la cabine d'essayage de Marianne et ne la cache plus que partiellement: le torse de Marianne, qui ressemble aux bustes de la République des mairies françaises, ainsi que le bonnet phrygien, sont déjà dans la lumière. Habillé, ou plutôt déguisé en civil, "l'homme sans tête" peut paradoxalement être identifié grâce à des casques: il tient à la main un casque d'acier portant l'inscription USA et un autre avec une croix gammée; un casque français reste posé par terre. Le marchand de fournitures militaires, incarnation du militarisme germano-américain, s'est fait rembarrer. Marianne s'est décidée pour le costume civil républicain, et donc pour la paix, le désarmement, la liberté, la démocratie.

Fig. 2: "Un fantôme qui réapparaît"
L'illustration est accompagnée du texte: "Mon Dieu, je vous ai déjà vu quelque part!" - "Mais bien sûr! En 1940!"
(B. Jefimow)

Frischer Wind 3/1951

Un groupe de six dessins (cf. Fig. 2-7) suit un schéma commun. L'éventuel rapprochement militaire de la France et de la RFA dans le cadre de la CED est ici mis en scène comme un harcèlement sexuel opéré par les personnages représentant métonymiquement la RFA. Il s'agit soit d'Adenauer, vu comme un vieux satyre dégoûtant et/ou des militaires aux traits monstrueux. Différents stades sont passés en revue, des préliminaires de la drague jusqu'à la pénétration dans la maison ou dans la chambre à coucher de Marianne. Dans tous les dessins prédominent du côté de la République fédérale des symboles d'agression phallique, certains encore relativement anodins, comme un cigare ou une canne, d'autres menaçants, comme des canons de fusil, des baïonnettes et des canons de bouche à feu généralement directement pointés sur le corps de Marianne. "Et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force" [note de la traductrice: vers tiré du "Roi des Aulnes", poème de Goethe: "Und bist Du nicht willig, so brauch' ich Gewalt"]: telle est la légende qui pourrait figurer sous tous ces dessins.

Chez un certain nombre de ces personnages, avant tout ceux des premiers dessins, l'auteur de l'image et du texte utilise des stratégies qui permettent de faire apparaître la situation actuelle comme une simple réactivation d'une situation historique connue. Cela signifie que la nouvelle situation doit être jugée d'après l'ancienne, à savoir ici réprouvée, car le réarmement est présenté comme la reprise de l'attaque fasciste contre la France.

Fig. 3: " 'Comment êtes-vous donc entrés?' 'Par des traités. Marianne .....' "

 

 

Frischer Wind 24/1953

Fig. 4: " Marianne: 'Vous avez rajouté quelques cordes, mais c'est bien toujours la même chanson' "

 


Frischer Wind 31/1953, p. 13

Aux représentations en grande partie identiques de la RFA correspondent des mises en scène de Marianne elles aussi concordantes. Marianne n'est pas féminine (à une exception près, cf. Fig. 5), elle n'est pas jolie, ni non plus fragile; elle a plutôt des traits durs, une silhouette robuste et sportive. Ces Mariannes sont actives, militantes, capables de se défendre. Elles ne sont jamais habillées de façon élégante; leurs vêtements rappellent dans certains cas les représentations codifiées, officielles, de la République, telles qu'on les connaît de tableaux et de statues (cf. en particulier Fig. 7).

Fig. 5: " Adenauer: 'Alors, Marianne, si on s'occupait un peu maintenant de notre jolie petite CED?' "
(Harri Parschau)

 

 

Frischer Wind 42/953, p. 12

Fig. 6: " Marianne: 'Je vois bien qui menace ma sécurité!' "
(Ernst Jazdzewski)

 

 

Frischer Wind 52/1953, p. 5

Fig. 7: " Adenauer: 'Mais non, ce n'est pas une menace, si je te dis que tu peux en choisir un!' "
(Harri Parschau)

 

 

 Eulenspiegel 12/1954, p. 16

Fig. 8: Le Grelot, 1872 (extrait),
d'après Agulhon, Maurice / Bonte, Pierre: Marianne. Les visages de la République.

 

 


Gallimard, Paris 1992, p. 73

Au lieu du "libertinage français" règne ici la "vertu républicaine". La forme visuelle fait toujours implicitement référence à des contenus politiques, à la tradition républicaine et à la mythologie. Ceci est encore renforcé par un langage du corps expressif. Marianne affronte l'agression en levant la main en un geste défensif (généralement la main droite), l'autre main gardant un maintien de statue, ou bien en écartant les coudes du corps à angle aigu, pour marquer le passage de l'attitude défensive à l'offensive. Cette attitude est sans doute aussi doublement déterminée. Elle correspond à la situation dans laquelle Marianne se trouve dans ces dessins, mais elle est également issue de traditions graphiques qui soulignent les traits militants de l'allégorie de la République; elle renoue en particulier avec les représentations de la "République rouge" (cf. Fig. 8), ce qui confère à ces illustrations une consistance idéologique et mythique dépassant le cadre de l'actualité.

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Notes

(5) Cf. en particulier le chapitre "Die Stunde Null" dans Reinhard Dietrich / Walther Fekl: Komische Nachbarn / Drôles de voisins: Die Deutsch-französischen Beziehungen im Spiegel der Karikatur, 1945-1988. Goethe-Institut, Paris 1988.

(6) Nous avons présenté la forme et la fonction, dans la période d'après-guerre, des autres allégories nationales, en particulier de Michel, de Germania et de l'Oncle Sam, dans un cadre temporel plus vaste et dans une plus large perspective comparée, dans: "Nationale Allegorien in der politischen Karikatur am Beispiel Deutschland (Ost und West) - Frankreich". In: Michael Böhler et al. (dir.): Trilateraler Forschungsschwerpunkt "Differenzierung und Integration". Zürich 1996. La présente publication comporte inévitablement quelques recoupements avec cet article.

(7) Louis Rauwolf: "Freier-Wahlen". In: Eulenspiegel 12 / 1959. p. 2.